AccueilAteliersTrail 70, Joel Corroy un mythe de la moto tout terrain

Trail 70, Joel Corroy un mythe de la moto tout terrain

Trail 70 à Vesoul est une légende du monde de la moto, et pas seulement en ce qui concerne le tout-terrain. Joël corroy, son fondateur, a réuni autour de lui un véritable univers déstiné à perpétuer la mémoire de ce versant du sport mécanique. Texte : Alain Jardy

-

À 67 ans, Joël Corroy a déjà vécu plusieurs vies : pilote de haut niveau en cross, chef d’entreprise, concepteur et constructeur de motos, créateur de musée ou organisateur de compétitions… Comme un certain Gaulois que nous connaissons bien, Il est tombé tout petit dans la marmite. Il a attrapé le virus de la moto, et plus particulièrement du tout-terrain, quand il était gamin à Fesches-le-Châtel, près de Montbéliard, dans le Doubs. Son père l’emmenait tous les dimanches « voir courir le Claude ». à cette époque, Claude Pourchot, originaire du même village, était un des meilleurs crossmen du Grand Est et Joël était fasciné par sa moto, une 200 cc Bultaco. Joël achète sa première moto en 1964 : une 125 cc Peugeot à cadre rigide et vitesses au réservoir. Avec les précieux conseils de Claude Pourchot, il la transforme en tout-terrain et s’initie au cross. La proximité des usines Peugeot fait qu’on trouve facilement des motos et des pièces de la marque, surtout en 175 cc. Il existe d’ailleurs une catégorie 175 cc au Championnat de Franche-Comté de moto-cross. Joël débute la compétition en 1967 dans cette catégorie, avec une moto qu’il a équipée d’un cadre spécial (inspiré du Bultaco et fabriqué par les frères Jolicor), d’un moteur Peugeot « Bol d’Or » et d’une fourche Horex. 

Le musée incroyable au dessus du magasin à Vesoul

La moto est fragile, et Joël gagne la seule course où la moto n’a pas cassé. L’année suivante, il rachète la 250 cc Bultaco Métisse de Claude Pourchot, champion de Franche-Comté 67. Avec cette machine, il gagne une douzaine de courses dans le Grand Est et devient à son tour champion de Franche-Comté. Dans le même temps, pendant les vacances d’été, il travaille trois mois à la chaîne chez Peugeot et achète une 250 cc Maico flambant neuve pour la saison 69. Il s’entraîne tout l’hiver avec son ami Jean-Pierre Mougin (futur président de la FFM), les deux se qualifient à Cognac pour disputer le Championnat de France 500 cc. On est en mars 1969. à la même époque, lors du retour d’une course inter en Yougoslavie, Joël s’arrête à l’usine Maico de Pfaffingen en Allemagne où il a de très bons contacts et la promesse d’une aide matérielle. C’est le début d’une longue association avec l’usine. Mais deux graves chutes mettent fin à la saison 69. L’année 70, si elle est celle d’un vrai contrat d’usine avec Maico, sera également celle du BTS, qu’il passera avec des béquilles… En effet, le week-end précédant l’examen, Joël participe à un cross en Alsace, malgré l’interdiction de ses parents, et se fait percuter par un autre pilote. Il obtient toutefois le BTS, mais dans la douleur, au sens propre du terme.

Ses parents l’avaient inscrit à un concours d’entrée d’une école d’ingénieurs de Belfort. Mi-juillet, il reçoit son courrier d’admission, quand ceux-ci sont en vacances. Il se dit que c’est trois ans d’études difficiles, et adieu le moto-cross. Il déchire la lettre et dit qu’il a échoué au concours. Reconnaissez qu’il fallait quand même le faire… Il reconnaît d’ailleurs  aujourd’hui que c’était un peu osé de sa part, qu’il aurait pu avoir une belle carrière d’ingénieur chez Peugeot, mais il ne regrette rien, car il n’aurait pas eu la vie passionnante qu’il a connue. Fin 1970, c’est le départ au service militaire… en Allemagne, dans un bataillon disciplinaire, sans perspectives de permissions pour pouvoir courir. Il est pourtant à 50 km de chez Maico, mais il ne peut même pas y aller. Son salut viendra de Marius Soulignac, l’importateur Maico qui, avec l’aide d’un ministre de ses connaissances, le fait transférer au Bataillon de Joinville à Fontainebleau. C’est là que sont affectés les sportifs de haut niveau pour leur permettre de continuer leur carrière en étant sous les drapeaux. 

La passion l’emporte sur la raison 

Joël est le premier et seul pilote moto à intégrer ce bataillon, on ne sait pas trop quoi faire de lui. Sa seule obligation sera d’être présent au rapport à 8 h le matin. Le reste du temps, il dispose d’un local pour entretenir sa moto et d’un terrain pour s’entraîner. Le contact avec les autres sportifs lui sera toutefois salutaire, car il apprendra beaucoup sur la préparation physique, chose dont on ne parlait pas encore à l’époque en moto-cross. Mais du fait de son séjour en Allemagne, il n’a pas pu se préparer à l’intersaison. L’année 71 se solde par une 8e place au Championnat de France. Cette même année sera également celle de son mariage, avec la fille de son mécanicien sur les cross. L’intersaison 71/72 sera consacrée à la préparation physique et à la participation d’épreuves en Belgique, avec des pointures comme Gaston Rahier ou Joël Robert. Le contrat avec Maico est aussi renforcé pour le Championnat de France et quelques courses en Championnat du Monde. Malheureusement, lors d’un entraînement à Vesoul, l’ancrage du frein arrière casse, c’est la chute, plusieurs mois d’immobilisation. La fin de saison lui permettra toutefois de terminer 5e au Championnat de France. Même chose la saison suivante ou une blessure à l’épaule l’immobilise et il finit 4e. En 74, la saison est stoppée par une rupture des ligaments du genou : six mois d’arrêt, et la perspective de ne plus pouvoir courir à haut niveau.

Le contrat avec Maico est arrêté. En 75, Joël décide toutefois de continuer, et décroche un contrat avec Sonauto. Jean-Claude Olivier, le boss, lui confie une Yamaha d’usine. C’est une machine très performante, mais ultra-fragile. Joël n’a pas les pièces pour assurer la maintenance. Il ne peut se qualifier pour disputer le championnat, suite à deux casses consécutives : d’abord le cadre, puis l’allumage. Il réussit toutefois à se qualifier en 500 cc inter avec une Bultaco que lui a prêtée son ami Franck Lucas, l’importateur. La saison démarre bien, mais il se casse d’abord deux phalanges lors d’une épreuve à Verdun, puis fait une chute et se casse deux côtes et se perfore un poumon à Poulangy et enfin il se refait une entorse au genou (opéré un an plus tôt) à Verdigny-en-Sancerre. Cette fois, c’est la chute de trop, Joël raccroche en août 75. Avec du recul, il fera le constat que, même s’il a joué de pas mal de malchance, il a aussi été victime de sa fougue.

La passion est toujours là

Mais Joël ne veut pas quitter le monde de la moto pour autant, c’est sa passion. Le 15 septembre 1975, il ouvre à Vesoul une petite boutique spécialisée dans le tout-terrain, un domaine qu’il connaît bien. Il est distributeur Ossa pour le trial, le cross et l’enduro. L’affaire marche bien, les marques Yamaha, Suzuki et Kawasaki viennent s’ajouter à l’activité qui couvre maintenant les machines de route. Joël décide d’investir et crée le premier supermarché de la moto de France. Le manque de place l’incite à s’installer dans des locaux plus grands dans une zone d’activité. Honda vient se rajouter, ce qui fait de Trail 70 le seul concessionnaire en France à regrouper les 4 marques japonaises. Si on rajoute les marques dédiées au tout-terrain (Ossa qui est toujours là, Beta, Montesa, etc.), on voit que l’activité est importante.Trail 70 propose de la vente par correspondance, notamment d’équipement tout-terrain. Joël et son équipe fabriquent, dans un atelier spécifique, des pièces spéciales telles que, entre autres, des clapets d’admission, qui sont également au catalogue de VPC.

L’idée de fabriquer une moto complète mûrit. Fin 81, au Salon de Milan, Joël remarque un moteur qui pourrait être intéressant, le moteur TAU : c’est un monocylindre de 250 typé cross. Joël passe un accord avec le constructeur pour développer ce moteur en trial. Il entreprend alors la construction de la moto, qui aura la particularité d’être la première à être équipée d’un mono amortisseur en trial. Fin mars 1982, la moto tourne, la JCM (Joël Corroy Motos) est née. Les premiers essais sont concluants, puisqu’elle est meilleure que la majorité de la concurrence, malgré la boîte et le diagramme d’admission « cross ». La boîte et les transferts sont modifiés, la moto fait l’objet d’essais dans la presse (Moto Verte), avec Charles Coutard au guidon (8 titres de champion de France entre 1971 et 1979 et régulièrement bien placé en Championnat du Monde) qui n’en dit que du bien. Charles Coutard montera d’ailleurs les deux premiers étages de la Tour Eiffel en octobre 1983 avec une JCM.

Une moto française, la JCM

Début 83, les commandes affluent, une société spécifique est créée pour faire face à cette montée en puissance. La moto est présente en compétition, en indoor au début, puis est sacrée championne de France en national en 85. Cette année-là, 450 motos sont produites, pour 2000 commandes… Il devient urgent de trouver un partenaire industriel. C’est chose faite en 1987, une association avec un équipementier voit le jour. Mais cette opération est un fiasco, et Joël doit se retirer fin 87. Les JCM seront toutefois produites par l’industriel jusqu’en 1991, avant l’arrêt définitif. Environ 1000 motos ont été produites, et Joël fabrique toujours des pièces pour les collectionneurs. C’est une des activités de l’atelier, mais ce n’est pas la seule. Trail 70, qui existe depuis maintenant plus de 40 ans, emploie 16 salariés, en plus de Joël, son épouse et ses deux fils. C’est donc une structure importante et reconnue puisque les trois quarts de son chiffre d’affaires se font hors département : principalement au niveau régional, mais également national.

La Haute-Saône n’est pas un département réputé pour la douceur de son climat, l’activité traditionnelle est donc assez saisonnière. Aussi, pendant la morte-saison, les 7 personnes travaillant à l’atelier, dont 3 sont là depuis plus de 30 ans, s’occupent de la restauration de motos anciennes, principalement en tout-terrain, mais pas que… De nombreuses routières classiques arrivent, parfois de loin pour une cure de jouvence, comme cette 900 Kawa Z1 qui vient de la région parisienne et qui attend son tour. Joël a également trouvé une dizaine de Triumph Tiger Cub qui vont être transformées pour le trial à l’ancienne. Entre autres, son équipe va adapter les cadres : modification de l’angle de chasse, création d’un réservoir d’huile en guise de poutre centrale, sous le réservoir d’essence, etc.

Joël n’a pas de quoi s’ennuyer. Même s’il a passé les rênes de l’entreprise à ses fils, il est toujours présent, à l’atelier pour les restaurations (sa Matchless est sur la table élévatrice), ou au bureau pour s’occuper du musée ou préparer l’organisation d’un trial à l’ancienne. Il anime également les clubs qu’il a créés : Club Trail 70, tourisme et classic, qui sont dédiés au cross, aux balades sur routes et au trial à l’ancienne. C’est un homme d’expérience, un passionné qui va au bout de ce qu’il entreprend, et qui trouve du plaisir à le partager.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.