PARU DANS RAD20 EN OCTOBRE 2025, PHOTOS TED SIMON
Partir loin, tout laisser, aller voir ailleurs si j’y suis… Depuis Ulysse, il y a ceux qui partent et ceux que leur récit fait voyager par procuration. La moto a remplacé le cheval ou la chaise à porteurs dès qu’elle a pu, mécaniquement permettre aux aventureux de faire plus que Londres-Brighton. Le français Robert Sexé (qui a inspiré à Hergé le personnage de Tintin) en est un des pionniers, un livre ne suffirait pas à les recenser tous et toutes, car de nombreuses motardes sont également parties et partent encore découvrir le monde en moto. Dans le RAD Hors-Série de cet été, vous avez, je l’espère pu suivre le récit du premier épisode des aventures de Léandre, qui une fois le permis en poche part seul traverser l’Europe. Le deuxième épisode est dans ce numéro, le troisième viendra par la suite. C’est un coup de fil d’un ami anglais, Christopher Hope qui m’averti que Ted Simon passera le voir chez lui non loin de Voiron en Isère et que je pourrais passer le rencontrer. Si vous l’ignorez, Ted est l’auteur de plusieurs livres qui sont autant de récits de ses aventures autour du monde à moto, le plus ancien, «Les Voyages de Jupiter» retrace 100.000km en quatre ans, de Londres au Cap à travers l’Afrique, puis de Fortlaeza au Brésil à Los-Angeles à travers le continent Américain et ensuite via l’Australie, retour par l’Inde, L’Iran et la Turquie.
Ce livre, devenu culte est pas très évident à trouver en français a créé des vocations chez ceux qui avaient envie de voir le monde. Comme par hasard, je venais de regarder les épisodes de The Long Way Round, le premier périple de Ewan McGregor et Charley Boorman de Londres à New York sur des BMW GS en passant par l’Europe, la Mongolie, la Russie et pour finir, la traversée des USA. C’est d’autant plus drôle de voir l’épisode où Ewan et Charley sur un marché d’Oulan Bator tombent sur Ted Simon et avouent que c’est lui qui leur a inspiré leur envie de tracer la route. Cela permet aussi de mesurer combien les deux aventures furent différentes ; Ted Simon décide de partir voir le monde, un soir de 1972, seul, le vague soutien d’un quotidien britannique et quelques travelers checks. Il se rend chez Triumph Motorcycles dans une conjoncture très chaotique pour l’industrie de la moto anglaise : «À l’usine nous avions prévu toutes sortes d’intéressantes modifications mais, lorsque vint le jour de prendre livraison de ma moto, je dus m’estimer heureux de la recevoir telle qu’elle était. La vieille société Triumph était au bout du rouleau, et je crois bien que ma moto fut la dernière à sortir de l’usine avant longtemps».
Je ne sais pas si c’est par modestie qu’il reste vague sur le sujet, je n’ai pas réussi à le savoir en posant la question à Ted, mais lorsqu’il choisi sa monture pour un trip qui durera quatre ans, il n’est ni passionné de moto, ni connaisseur en mécanique. Son choix cependant me parait encore aujourd’hui très judicieux, en 1972, il aurait pu prendre un Bonneville T120R, 650cc, avec même la boite 5 vitesses de la T120RV, la TR6, en 650 avec une culasse à un seul carbu était disponible, et pour la grosse cavalerie, les T150 Trident avec leurs 750cc. Et c’est la petite T100 Trophy, 500cc et un seul carbu qu’il a choisi. Ce petit bicylindre tiendra le coup sur les 100.000km que durera son périple, et sa simplicité permettra à Ted Simon de mettre (souvent, soyons honnête) les mains dedans lorsque ce sera nécessaires.
C’est certainement un cliché, mais le point commun à toutes ces aventures ce sont les rencontres avec des êtres humains loin de son environnement habituel et ce qui en découle ; voir les choses d’une toute autre façon. Le récit du voyage de Ted Simon, de 1972 à 1977 n’est en rien angélique, lorsqu’un pays traversé lui laisse une impression globalement négative, il le dit sans détour. Il se fait une opinion basée à la fois sur son ressenti au gré des comportements des humains avec lesquels il est amené à échanger et sa capacité d’analyse s’aiguise au fur et à mesure que la route et ses difficultés le transforment. Le périple de Ewan McGregor et Charley Boorman est très différent dans sa forme et en même temps assez similaire dans ses effets. Mc Gregor est déjà en 2004 un acteur célèbre, même dans des coins reculés, cela va plusieurs fois lui prendre la tête. Le second est beaucoup moins connu comme acteur, mais c’est le fils de son père John Boorman, le réalisateur de Délivrance, La forêt d’émeraude ou Excalibur. Tous les deux bénéficient de moyens plus que corrects et la préparation de leur voyage durera plusieurs mois et impliquera une véritable armée et de très nombreux consultants.
BIEN CHOISIR LA MOTO
Il faudra apprendre des notions de usse, faire des stages de survie, de secourisme et en apprendre un peu sur les us et coutumes des pays traversés, même savoir se défendre en cas de besoin. Cet entourage sera même parfois un source de découragement pour les deux golden boys, certains intervenants leur déconseillant carrément de tenter l’aventure. Boorman avait un penchant très net pour la KTM Adventure et souhaitait que la marque leur fournisse trois motos, sur la foi d’un consultant sceptique quand à leurs chances de réussir leur pari, la marque autrichienne refusa d’être du voyage, laissant ainsi la place à BMW et à ses GS Adventure. Comment une marque qui a gagné autant de Dakar avec ses machines peut-elle se fourvoyer à se point ? Comment se laisser persuader qu’une entreprise de divertissement impliquant deux acteurs connus, une équipe de tournage avec plusieurs cameramen, deux 4×4, un docteur et pas mal d’appui pour passer les frontières ne puisse pas être une fabuleuse opportunité commerciale. Sans parler de l’aspect humanitaire puisque les deux amis sont allés à la rencontre des équipes de l’Unicef lors de chacune de leurs étapes. Les ventes des pourtant fort lourdes BMW n’ont cessé de grimper vers les étoiles depuis cette date et à contrario, KTM est peut être une bonne petit marque européenne, mais aux USA, personne n’en a entendu parler.
Dans les années 70, il n’est pas certain que l’aventure de Ted Simon ait été suffisamment prise au sérieux par Triumph, l’accueil que celui-ci reçoit après sa remontée fort pénible du continent Sud-Américain et son arrivée sur le sol Californien douche un peu son enthousiasme ; il en attendait beaucoup plus. Remettons les choses dans leur contexte, la firme était moribonde en Europe, et bien que les ventes se tiennent encore pas mal aux USA (encore peu enclins à favoriser l’industrie nippone) c’était bel et bien le chant du cygne. D’ailleurs Ted Simon le dit, son choix d’une moto britannique était aussi un acte de soutien, tout au long de son chemin, il aura l’opportunité de remercier ce qui restait alors de certains pans entier de cet héritage motocycliste. Il fera en effet les louanges de Avon dont les pneus ne le laisseront que très rarement tomber et ce dans des conditions extrèmes, idem pour Lucas qui contredira la légende. L’Empire Britannique en déclin sera malgré tout un réseau relativement efficace pour lui faire parvenir presque toujours
UN LIVRE VISIONNAIRE EN 1979
les pièces dont il aura besoin et ce même au fond de la Tanzanie. Bien sur je ne peux que vous conseiller de trouver le livre de Ted Simon, et j’espère qu’une maison d’édition va rapidement le rééditer en français. Je vous conseille aussi de voir les épisodes de «The Long Way Round», et sa suite «The Long Way Down» dont le tracé est plus fidèle encore à la première partie du voyage de Jupiter. Sachant que le livre fut édité en 1979, sa lecture est souvent éclairante sur ce qu’est devenu le monde ces trente dernières années, y comprit sur le plan de l’environne-ment.
L’auteur voyageur parsème son récit de réflexions qui ont tout de sociologique et qui, vue d’aujourd’hui prennent un sens tout particulier : «L’information instantanée se démode dans la seconde qui suit. Seules les banalités peuvent franchir de grandes distances à la vitesse de la lumière. Et tout ce qui voyage très loin et très vite n’a que peu de valeur, à commencer par le touriste». Comment ne pas penser aux éphémères publications des innombrables blogs quand on lit cela aujourd’hui ? Au moment de son départ, Ted Simon comparait la somme d’efforts qu’il avait devant lui à la somme d’argent qui serait nécessaire à parcourir la même distance via des compagnies aériennes. À son retour, il pouvait ajouter dans la balance la valeur des expériences humaines, bonnes ou mauvaises, mais toutes marquantes que ces quatre ans lui avaient apporté, aucune salle d’embarquement ne pourrait rivaliser.
«La routine est l’ennemie de la conscience […]. Elle perpétue la peur, les besoins quotidiens, et je voulais m’en débarrasser. Ce voyage devait me permettre de voir clairement les choses, l’occasion ne s’en représenterait plus jamais. Je voulais me libérer du conditionnement de l’habitude.» . Ces récits et la rencontre avec ceux qui les font donnent envie de partir, mais existe-il encore des territoires inconnus comme dit l’émission de tv plus ou moins bidon qui joue sur la même corde sensible ? Nous ne le saurons qu’on traçant la route, pas forcément sur 100.000km, l’aventure n’est elle pas au coin de la rue ?