LITTÉRATURE ET GUIDONNAGE – RAD#6

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Eric Miles Williamson, Bienvenue à Oakland

S’accrocher, passer outre, ne pas se fier aux premières sensations….ça marche avec les fruits de mer mais aussi avec les livres. La preuve avec « Bienvenue à Oakland » d’Eric Miles Williamson chez Points, collection roman noir, paru en France en 2011. L’auteur a convoqué les « muses » d’Hulbert Selby junior et de Bukowski pour le style, Steinbeck pour la critique sociale. Un bouquin « inconfortable » difficile, âpre, sauvage. Si Goya ou Bosh écrivait……Un roman punk quoi. Oakland où se déroule ce roman, n’est pas tout à fait la Californie chromo et pourtant on se trouve dans la Baie de Frisco. Une ambiance apocalyptique, voilà ce qui t’attend impétueux lecteur, l’endroit que tu souhaites voir habiter par les autres. On y trouve quoi à Oakland au fait ? De l’alcool frelaté, du sexe misérable et compulsif, des ordures, au sens propre du terme, du racisme et de la misogynie ordinaire…Oakland donc, la lépreuse, l’ouvrière, la cité portuaire déclassée, la baltringue qui crève dans son smog et sous ses ordures, la ville d’une working class à la dérive, un peu plus sacrifiée à chaque crise. « Ce que l’on construit ne nous appartient pas, seul ce que l’on achète nous appartient » nous dit l’auteur. L’auteur t’y insulte tous les trois lignes, toi lecteur qui pensait passer un bon moment. Ta bonne conscience, ton progressisme de bon aloi ? il s’en tape. Il te chahute, te choque et te provoque et là j’euphémise. Brrrh pas fun, faut s’accrocher quoi. Mais derrière ou plutôt malgré, à moins que ce ne soit grâce à cette écriture boursouflée, dantesque, outrancière, il y a de purs instants de jazz, de poésie et d’humanité. Aux USA la lutte des classes est version XXL. Elle s’illustre par des anecdotes hallucinatoires et barrées, des graffitis sur des murs abandonnés, pas par des slogans éculés. Pas de place pour les manifs, de la littérature cash et sans fard. Dans cette cour des miracles parfumée au métane, les Hell’s côtoient junkies et sous-prolétaires, maris abrutis de boulot qui peinent à payer des pensions alimentaires (ça doit être du vécu ça..) Quelques valeurs surnagent cependant. La fierté du travail bien fait, l’amitié, la loyauté à sa classe sociale, à son quartier, tout ce qui empêche provisoirement de basculer. Oakland ouvrière, fière de ses valeurs, même dans sa déchéance…… est donc mais tu l’avais compris, le principal protagoniste de ce roman. Et puis y a Mickey Mantle…mais je te laisse découvrir.
L’Amérique perd la boussole dans ce fuck’in book (allez je me lâche), c’est pas un truc de chochotte c’est sûr. Ah au fait, y a pas vraiment d’intrigue mais on s’en fout. Sérieux, on s’en fout.

Fransisco Gonzaléz Ledesma, Mendez

Mendez Bon après l’électrochoc Williamson, 23 petites douceurs, enfin presque, avec « Méndez » de Fransisco Gonzaléz Ledesma, paru en 2003 et disponible chez l’Atalante. J’ai parlé de douceur ? bon j’exagérais car c’est pas le genre du taulier non plus. Une structure narrative plus classique dans ce recueil. Ca repose. Gonzaléz Ledesma, l’auteur donc, n’a pas eu de bol. Ecrire des polars de qualité à Barcelone, ça se présentait bien. Seulement y avait Vasquez Montalban, alors forcément pour tirer son épingle du jeu… Et pourtant, et pourtant, on ne se lasse pas facilement du Barrio chino, des Ramblas, de ce Barcelone d’avant la prospérité désormais fugace, ses petits bistrots qui survivent vaille que vaille, ses prostiputes, ses gitans, ses prolos, ses petits métiers… Un flic fatigué, un peu tristoune en guise de fil rouge. Il porté sur la déambulation mélancolique et nostalgique notre Mendèz. Humaniste et touchant, bien torché le flic, les nouvelles aussi d’ailleurs. Des récits un peu intemporels avec un héros qui s’empêche d’être réac par empathie pour les paumés. Y’a du Maigret chez cet homme, vous voyez ? Cette pesante humanité, dupe de rien et donc revenue de tout. Le style est plus alerte cependant. Forcément vous allez me dire, on est quand même au bord de la Méditerranée. Bien vu, sagace lecteur ! Ledesma, comme Montalban (et merde encore lui) a le chic pour la description enlevée l’ambiance qui scotche. C’est assez subtil, sans sombrer dans le polar psychologisant qui afflige (si, si). C’est pas hilarant…comme Montalban (je vous en ai parlé ou bien ?) mais il y a de la grâce chez Gonzalèz Ledèsma et de l’épaisseur.